Poème 'Le hibou' de Marie KRYSINSKA dans 'Rythmes pittoresques'

Le hibou

Marie KRYSINSKA
Recueil : "Rythmes pittoresques"

A Maurice Rollinat.

Il agonise, l’oiseau crucifié, l’oiseau crucifié sur la porte.
Ses ailes ouvertes sont clouées, et de ses blessures, de grandes perles de sang tombent lentement comme des larmes.
Il agonise, l’oiseau crucifié!
Un paysan à l’oeil gai l’a pris ce matin, tout effaré de soleil cruel, et l’a cloué sur la porte.
Il agonise, l’oiseau crucifié.
Et maintenant, sur une flûte de bois, il joue, le paysan à l’oeil gai.
Il joue assis sous la porte, sous la grande porte, où, les ailes ouvertes, agonise l’oiseau crucifié.
Le soleil se couche, majestueux et mélancolique, – comme un martyr dans sa pourpre funèbre;
Et la flûte chante le soleil qui se couche, majestueux et mélancolique.
Les grands arbres balancent leurs têtes chevelues, chuchotant d’obscures paroles;
Et la flûte chante les grands arbres qui balancent leurs têtes chevelues.
La terre semble conter ses douleurs au ciel, qui la console avec une bleue et douce lumière, la douce lumière du crépuscule;
Il lui porte d’un pays meilleur, sans ténèbres mortelles et sans soleils cruels, d’un pays bleu et doux comme la bleue et douce lumière du crépuscule;
Et la flûte sanglote d’angoisse vers le ciel, – qui lui parle d’un pays meilleur.
Et l’oiseau crucifié entend ce chant,
Et oubliant sa torture et son agonie,
Agrandissant ses blessures, – ses saignantes blessures, -
Il se penche pour mieux entendre.

* *

Ainsi es-tu crucifié, ô mon cœur!
Et malgré les clous féroces qui te déchirent,
Agrandissant tes blessures, tes saignantes blessures,
Tu t’élances vers l’Idéal,
A la fois ton bourreau et ton consolateur.
Le soleil se couche majestueux et mélancolique.
Sur la grande porte, les ailes ouvertes, agonise l’oiseau crucifié.

26 mai 1883.

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Commentaires

  1. Hibou plumitif
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    Cet oiseau rédacteur accumule les phrases
    En l’honneur de la lune, à la gloire des fleurs ;
    Aimant du parchemin la subtile pâleur
    Et de l’astre des nuits les changements de phase.

    Il écrit sans recherche, il écrit sans emphase,
    Lui dont la noire plume est de rire et de pleurs ;
    Il peut même trouver du charme à ses douleurs
    Ou revivre en pensée d’improbables extases.

    Il chante en travaillant, car il n’est pas muet,
    Écouté bien souvent par quelques trolls fluets
    Que contemple, la nuit, le regard de Saturne.

    Au cours de son sommeil, dans un rêve enchanté,
    Il voit vers lui venir la muse taciturne
    Qui visite avec lui des lieux peu fréquentés.

  2. J'aime mieux ce Hibou plumitif au Hibou crucifié, c'est terrible !, Même si le son de la flûte apaise sa torture.

  3. Lord Owl
    ----------

    Sa devise ancestrale est une courte phrase
    Qui au coeur de la nuit fait sourire les fleurs ;
    Son plumage arborant une noble pâleur
    Est sans nulle arrogance, et dépourvu d’emphase.

    Avec la vie nocturne il est toujours en phase,
    Son coeur ne connaît point le rire ni les pleurs ;
    Lui, maître de son âme et roi de ses ses douleurs,
    Accepte le plaisir sans rechercher l’extase.

    Ses meilleurs compagnons sont les arbres muets,
    La martre délicate et l’écureuil fluet ;
    Il ne compte pour dieu que le sombre Saturne.

    Dans un tronc, il façonne un palais enchanté
    Où vit une dryade aimable et taciturne ;
    Déjà, dans leur enfance, ils se sont fréquentés.

  4. Hibou prophète
    -------------

    Ce rapace a choisi la voie spirituelle,
    Car la lueur divine éclaira son esprit ;
    Il ne consulte point les antiques écrits,
    Mais la jeune dryade habile et sensuelle.

    Il ne propage point les valeurs éternelles,
    La volonté des dieux ne lui sert pas d’abri ;
    Il cite, à la rigueur, un fier Bouddha qui rit,
    Il nous dit seulement que la nature est belle.

    Il connaît les travaux de son ami le porc ;
    Parfois, d’un commentaire il propose l’apport,
    S’exprimant comme un sage en sa Montagne Froide.

    Ce modeste penseur ne rompt ni ne fléchit,
    Mais il se tait parfois, c’est quand il réfléchit ;
    De même, il se taira quand son corps sera roide.

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Marie KRYSINSKA

Portait de Marie KRYSINSKA

Marie Anastasie Vincentine Krysinska, née à Varsovie le 22 janvier 1845 et morte à Paris le 16 octobre 1908, est une poétesse française. Fille d’un avocat de Varsovie, Marie Krysinska de Lévila vient à Paris étudier au Conservatoire de musique, études qu’elle abandonne bientôt pour s’adonner à la littérature.... [Lire la suite]

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