Poème 'Santa Espina' de Louis ARAGON dans 'Le Crève-coeur'

Santa Espina

Louis ARAGON
Recueil : "Le Crève-coeur"

Je me souviens d’un air qu’on ne pouvait entendre
Sans que le coeur battît et le sang fût en feu
Sans que le feu reprît comme un coeur sous la cendre
Et l’on savait enfin pourquoi le ciel est bleu

Je me souviens d’un air pareil à l’air du large
D’un air pareil au cri des oiseaux migrateurs
Un air dont le sanglot semble porter en marge
La revanche de sel des mers sur leurs dompteurs

Je me souviens d’un air que l’on sifflait dans l’ombre
Dans les temps sans soleils ni chevaliers errants
Quand l’enfance pleurait et dans les catacombes
Rêvait un peuple pur à la mort des tyrans

Il portait dans son nom les épines sacrées
Qui font au front d’un dieu ses larmes de couleur
Et le chant dans la chair comme une barque ancrée
Ravivait sa blessure et rouvrait sa douleur

Personne n’eût osé lui donner des paroles
A cet air fredonnant tous les mots interdits
Univers ravagé d’anciennes véroles
Il était ton espoir et tes quatre jeudis

Je cherche vainement ses phrases déchirantes
Mais la terre n’a plus que des pleurs d’opéra
Il manque au souvenir de ses eaux murmurantes
L’appel de source en source au soir des ténoras

O Sainte Epine ô Sainte Epine recommence
On t’écoutait debout jadis t’en souviens-tu
Qui saurait aujourd’hui rénover ta romance
Rendre la voix aux bois chanteurs qui se sont tus

Je veux croire qu’il est encore des musiques
Au coeur mystérieux du pays que voilà
Les muets parleront et les paralytiques
Marcheront un beau jour au son de la cobla

Et l’on verra tomber du front du Fils de l’Homme
La couronne de sang symbole du malheur
Et l’Homme chantera tout haut cette fois comme
Si la vie était belle et l’aubépine en fleurs

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Commentaires

  1. Cuisiner en musique
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    Du fond de la cuisine, on se plaît à entendre
    La mélodie qui semble aussi charmer le feu,
    Le faisant, pour un peu, renaître de ses cendres,
    Bonheur du mélomane et joie du cordon bleu.

    J'ai presque vu danser le fourneau lourd et large
    Qui faillit se changer en âtre migrateur ;
    Son ronflement faisait comme une note en marge
    Du chant inégalé d'un grand compositeur.

    Valets de l'empereur, qui cuisinez dans l'ombre,
    Jaloux du fier destin des chevaliers errants,
    Sachez que bien souvent leur vie n'est que décombres,
    Cuisiner en musique est bien plus attirant.

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