Poème 'Récits épiques – Un Évangile' de François COPPÉE dans 'Les Récits et les Élégies'

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Récits épiques – Un Évangile

François COPPÉE
Recueil : "Les Récits et les Élégies"

En ce temps-là, Jésus, seul avec Pierre, errait
Sur la rive du lac, près de Génésareth,
À l’heure où le brûlant soleil de midi plane,
Quand ils virent, devant une pauvre cabane,
La veuve d’un pêcheur, en longs voiles de deuil,
Qui s’était tristement assise sur le seuil,
Retenant dans ses yeux la larme qui les mouille,
Pour bercer son enfant et filer sa quenouille.
Non loin d’elle, cachés par des figuiers touffus,
Le Maître et son ami voyaient sans être vus.

Soudain, un de ces vieux dont le tombeau s’apprête,
Un mendiant, portant un vase sur sa tête,
Vint à passer et dit à celle qui filait :
« Femme, je dois porter ce vase plein de lait
Chez un homme logé dans le prochain village ;
Mais tu le vois, je suis faible et brisé par l’âge,
Les maisons sont encore à plus de mille pas,
Et je sens bien que, seul, je n’accomplirai pas
Ce travail, que l’on doit me payer une obole. »

La femme se leva sans dire une parole,
Laissa, sans hésiter, sa quenouille de lin,
Et le berceau d’osier où pleurait l’orphelin,
Prit le vase, et s’en fut avec le misérable.
Et Pierre dit :
« Il faut se montrer secourable,
Maître ! mais cette femme a bien peu de raison
D’abandonner ainsi son fils et sa maison,
Pour le premier venu qui s’en va sur la route.
À ce vieux mendiant, non loin d’ici, sans doute,
Quelque passant eût pris son vase et l’eût porté. »

Mais Jésus répondit à Pierre :
« En vérité, quand un pauvre a pitié d’un plus pauvre, mon père
Veille sur sa demeure et veut qu’elle prospère.
Cette femme a bien fait de partir sans surseoir. »

Quand il eut dit ces mots, le Seigneur vint s’asseoir
Sur le vieux banc de bois, devant la pauvre hutte.
De ses divines mains, pendant une minute,
Il fila la quenouille et berça le petit ;
Puis se levant, il fit signe à Pierre et partit.

Et, quand elle revint à son logis, la veuve,
À qui de sa bonté Dieu donnait cette preuve,
Trouva sans deviner jamais par quel ami,
Sa quenouille filée et son fils endormi.

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Commentaires

  1. Un modeste
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    Le fils du charpentier, de quoi fut-il épris ?
    D’un petit vin servi à l’ombre des tonnelles,
    De faire aller un peu l’affaire paternelle,
    De dire des récits qu’on lui avait appris.

    Jamais il ne parlait pour faire de l’esprit,
    Ni pour développer des phrases solennelles.
    Sa parole était juste, et simple, et fraternelle ;
    D’un propos de sagesse, il connaissait le prix.

    Satan, l’ayant tenté, retourna dans son antre ;
    Le Romain dit au peuple « Épargnons-le, que diantre ! »
    Et lui ne voulait point d’un destin glorieux.

    Ce fils de charpentier n’est certes pas un ange ;
    Mais il a su porter des coups victorieux
    À la Tartufferie, que bien sûr, ça dérange.

  2. Quatre scribes
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    Matthieu voulut produire un texte court,
    De la naissance à l’agonie dolente ;
    Un texte vert comme une belle plante,
    Près de nos coeurs et loin des vains discours.

    Marc désira montrer le fil des jours
    De longue errance en une marche lente ;
    Puis la grandeur des paroles volantes,
    Et le départ qu’on croirait sans retour.

    Luc écrivit, me dit-on, comme en songe,
    Un rêve pur que nul doute ne ronge,
    Ce scribe-là ne fut point hésitant.

    Jean s’inspira des dieux et des déesses
    Pour composer un traité de sagesse
    En langue grecque, et limpide, pourtant.

  3. Prédateur
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    Linné nomma cet animal qui court,
    C’est un cousin des panthères volantes ;
    Il mange tout, les bêtes et les plantes,
    Sans s’encombrer d’inutiles discours.

    Ce prédateur engraisse au fil des jours,
    Sa vive course en devient un peu lente ;
    Son âme aussi se fait bien moins galante,
    À ces plaisirs il veut passer son tour.

    Plus d’une fois j’ai cru l’entendre en songe
    Qui déclamait des mots de Francis Ponge,
    Un locuteur tout de même hésitant.

    Il fut l’ami d’une sombre déesse
    Dont il n’acquit pas la moindre sagesse ;
    Mais du bon sens, il en montre, pourtant.

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