Poème 'Le Satyre' de Robert DESNOS dans 'Fortunes'

Le Satyre

Robert DESNOS
Recueil : "Fortunes"

Enfin sortir de la nuit,
Sortir de la boue.
Ho ! Comme elles tiennent aux pieds et aux membres
La nuit et la boue !
Ce chemin me conduira aux rivières claires où l’on se baigne entre deux rives de gazon.
Rivières ombragées par les arbres,
Effleurées par l’aile des oiseaux,
Eau pure, eau pure, vous me lavez.
Je m’abandonnerai à ton courant dans lequel naviguent les feuilles encore vertes que le vent fit tomber.
Eau pure qui lave sans arrêt les images reflétées.
Eau pure qui frissonne sous le vent,
Je me baignerai et je laisserai le reflet de moi-même en toi-même, eau pure !
Tu le laveras, ce reflet où je ne veux me reconnaître,
Ou bien emporte-le, loin,
Jusqu’aux océans qui le dissoudront comme du sel.
Que tombent le veston, le col et la cravate, uniforme abominable de la vie grise que je mène.
Que jaillissent les pieds, hors des lourds souliers.
Que glissent le long des jambes, les jambes du pantalon.
Que le tissu me frôle.
Ah ! la fraîcheur du vent, la chemise soudain jaillie
Comme le sperme ou la mousse du champagne.
Et cet éclat de ma chair entrevue nue sous un rayon du soleil.
Le poil se hérisse, semblable au gazon
Où fleurit, énorme, la fleur du sexe et l’ombre des cuisses.
L’arrivée de l’air dans les corridors sombres et puants de la chair,
Les fesses dévoilées, lumineuses, comme un corps de nymphe…
Corps flétri, boutonneux, à la chair grise comme ma vie.
Et là, dans la gorge, un désir de bergère et de princesse isolées qui naît et remonte comme une nausée.
J’avais jadis des fleurs dans les mains,
J’avais dans la bouche le suc des fleurs et des herbes et la sève des arbres et le sable des plages
et même la terre mouillée des marais,
Une délicieuse amertume à laquelle le vent ajoutait la sienne, emplissait ma bouche.
Mon corps était couvert de pollen.
Je sentais le pré, la rivière, et les forêts à fougères et à champignons.
Je marchais dans la terre
Jusqu’aux genoux, jusqu’au sexe, jusqu’au nombril, jusqu’à la bouche et aux yeux.
Mais quoi ? Seul ici sous ces ombrages…
Ma solitude se peuple des fantômes et des créatures de ma sexualité.
Quelle foule ! Quelle cohue !…

Ainsi parle le satyre.
Déjà ses bretelles pendent ignoblement.
Ainsi parle le satyre.
Est-ce bien lui-même, ou se confond-il parmi la multitude de personnages qui l’environnent ?
Mais d’abord son décor :
Le mur lyrique aux inscriptions amoureuses,
Le mur contre lequel il colle au crépuscule, comme une affiche, son ombre.
Le mur suintant d’urines de chien et d’homme,
Le mur dont il se détourne,
Comme surpris.
Le mur où, fusillées par d’invisibles fusils, les images de lui-même se superposent, s’agglomèrent, et puent.
Et puis la pissotière faiblement éclairée,
Aux vitraux multicolores,
Pleine du chant des fontaines,
Odorante, fendue comme une casemate
Ouverte uniquement sur la rue bruyante.

Et puis la forêt… semée de champignons obscènes,
Fleurie de fleurs charnues,
Sentant mille odeurs de crime, de trahison, de honte et de mystère.
Au pied d’un arbre, un soir, quand les cloches tintent dans la plaine,
Un désespéré se suicide.
Dans l’ombre d’un buisson deux amants se pénètrent.
Au fil d’un ruisseau, la feuille morte et l’herbe arrachée
Naviguent.
Dans la boue se marque l’empreinte des pattes d’oiseaux.
Au tronc des chênes, les initiales gravées cessent de signifier quelque chose, année par année.
La noisette mûrit sous les feuilles,
Le bruit dans les terriers.
La morille et la girolle naissent, sentent et pourrissent
Et toi enfin, satyre,
Guettant le phare des autos,
La nuit,
Pour te débrailler sur le bord de la route
Ou te faire surprendre
Dans une pose de fange
Au détour d’un sentier.

Ah ! que brament les cerfs dans les vallons…
Entendre dans ton crâne
Le dernier bruit du monde,
Le retentissement du coup de fusil d’un chasseur maladroit
Qui jette sa poudre aux moineaux.

Des prêtres déguenillés ont jeté ici leur froc aux orties
Et tu reconnais soudain le sale frisson des confessions,
Le murmure des péchés inventés,
Et l’abîme qui sépare tes rêves déchaînés
Du ventre large ouvert à coups de couteau
Où tu fouillerais l’amas gluant des intestins.
Mais non !
Le satyre rêve et se roule dans le fumier doré de son imagination.
Son élan, son sexe et son désir
Retombent avant le but.
Croupe souillée,
Dénoncée par la lâcheté même de sa chair,
Le satyre disparaît
Fond,
Fuit,
S’évanouit.
Et il ne reste
Perdue dans un champ de moineaux
Qu’une défroque d’épouvantail châtré,
Vidée comme un lapin,
Gonflée d’un vent qui vient de loin,
Qui vient d’ailleurs,
Comme le rêve d’amour et la pensée,
Gonflée d’un vent qui vient de loin,
Après avoir séché les draps maculés par l’amour,
Ensemencé d’herbe et de fleurs étranges
Les dépotoirs et les tas d’ordures ;
Un épouvantail gonflé de vent et qui ne fait même plus peur aux oiseaux et aux enfants.
Puéril comme le jeu de billes,
Puéril comme l’univers secret de tout homme,
Puéril comme la guerre,
Et sanglant et cruel comme la guerre,
Et boueux et honteux comme l’univers secret de tout homme
Et absurde et logique comme le jeu de billes
C’est le satyre qui s’approche dans l’ombre
Et violente superpose et foule
Ses rêves tumultueux.

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Commentaires

  1. Antichiroptère
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    Cet antichiroptère est le fils d’un satyre
    Duquel il hérita le redoutable coeur ;
    Il n’est pas fils de roi, n’est pas fils d’empereur,
    Mais il se satisfait des vierges qu’il attire.

    Des puissants de ce monde il n’est jamais le sbire,
    Car il ne lui plaît pas de servir les vainqueurs ;
    Mais quand un duc l’invite à boire des liqueurs,
    Cet animal rétif devient un joyeux sire.

    Il ne lui convient pas d’obéir aux pantins,
    Lui qui veut se charger tout seul de son destin
    Dont les clins d’oeil, parfois, lui sont une espérance.

    Son père sévissait, prédateur sans pitié,
    Mais il était aussi capable d’amitié :
    D’un tel homme, il apprit l’amour et la souffrance.

  2. Octefeuille de sable
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    J’existe, mais c’est dans tes rêves,
    Je veille sur toi quand tu dors ;
    Je n’ai pas d’âge ni de corps,
    Toujours mes paroles sont brèves.

    Je disparais quand tu te lèves,
    Je n’aime pas le soleil d’or ;
    J’aime les nuits du Pôle Nord,
    Quel bonheur, ces six mois de trêve !

    Moi qui sais, sans rien espérer,
    Dans mes projets persévérer,
    Je t’épargne quelques problèmes.

    Humain, rien ne sert de courir,
    Ni d’à tes savoirs recourir ;
    Mais regarde bien en toi-même.

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